Méta-analyse sur la prise en charge ostéopathique de la lombalgie idiopathique, ou l’ostéo ça marche sur les douleurs du bas du dos ou pas?

Enfin ! Une revue systématique de la littérature ostéopathique et méta-analyse sur la prise en charge ostéopathique de la lombalgie idiopathique.

Qu’est-ce que ça veut dire?

Lorsqu’une équipe de recherche publie une information, elle écrit un article dans lequel elle pose une question et tente d’y répondre par un protocole répondant à une méthodologie stricte. Un seul article ne prouve rien, il faut que plusieurs équipes de recherche à travers le monde se pose la même question, y réponde et publie. Ensuite, des petits malins décident de rassembler toutes ces informations, de les synthétiser, de les analyser et de les publier: on appelle ça une revue de la littérature. Il y a des subtilités entre les revues, les analyses systématiques et les méta-analyses, je vous recommande ce blog pour en savoir plus. Parfois certaines personnes parlant dans certaines émissions télévisuelles me mettent en colère en confondant les deux, donc quand on est pas sûr, mieux vaut parler de « revue de littérature » ça fait chic et au moins on est sûr de ne pas se tromper.
En tout cas on a ici le top du top, la crème de la crème (sans lactose) au niveau synthèse des articles publiés au sujet des douleurs des lombaires (lombalgie) sans cause pathologique (idiopathique) avec une prise en charge ostéopathique. Donc la question est: lorsqu’on résume les articles scientifiques publiés aujourd’hui, peut-on conclure que l’ostéopathie est efficace pour soigner la lombalgie?

Les ostéopathes l’attendaient, les détracteurs de l’ostéopathie aussi ! C’est une équipe ostéopathique internationale qui a pré-publié en Open Access le fruit de leurs travaux. (Open Access = l’article est disponible en version intégrale gratuitement, le futur de la recherche mais la plaie des revues et éditeurs tels Elsevier qui passent à côté d’argent facile…)

Cet article, on l’attendait depuis longtemps : l’abstract préliminaire était révélé lors d’un congrès en Allemagne en octobre 2013. Les recherches de la littérature avaient été réalisées fin 2012. C’est le temps que prennent l’analyse des articles, les conclusions des auteurs et surtout le processus de rédaction et de publication qui peut être très long.

La Méta-Analyse : pourquoi est-ce nécessaire ?

Lorsqu’un article est publié sur un sujet, il est nécessaire de reproduire celui-ci plusieurs fois, par des équipes différentes dans de nombreux pays. Ensuite, tous ces articles sont analysés et synthétisés afin de savoir si tous les articles convergent dans la même direction et pour pouvoir ainsi tirer des conclusions sur un sujet. (la répétition c’est la pédagogie) (La pédagogie: c’est la répétition)

La première méta-analyse avait été publiée en 2005 par Licciardone, mais elle était tout à fait imparfaite : tout d’abord, il n’y avait que 8 articles sélectionnés. Ensuite, les populations n’étaient pas comparables (femmes ménopausées comparées à des sportifs par exemple). Enfin, la critique principale portait sur le fait que certains articles parlaient d’une technique unique et étaient comparés à une prise en charge holistique et personnalisé de chaque patient. L’ostéopathie ne pouvant se résumer à une technique, les conclusions sont ainsi biaisés. Licciardone et son équipe avaient tout de même réalisé des calculs afin de connaitre l’importance statistique de ces études, les résultats étaient plutôt favorables à l’ostéopathie mais la conclusion finale toujours la même : en l’état, rien ne permet de conclure de manière définitive.
Une autre revue publiée en 2012 d’Orrock et Myers avait moins fait parler d’elle, car seules deux études avaient été retenues, sur le thème de la lombalgie basse idiopathique. Aucunes conclusions n’avaient été possibles, quoi qu’il en soit cette revue mettait en avant les points nécessaires pour faire avancer la recherche : comment mettre en place une étude clinique sérieuse en ostéopathie.

En 10 ans, la recherche a beaucoup progressé en ostéopathie : elle s’est surtout professionnalisée. Aujourd’hui, il existe des postes de recherche à temps plein ! Des ostéopathes qui ont laissés derrière eux leurs cabinets pour faire avancer la recherche. A ma connaissance, en France, il n’existe pas d’ostéopathe chercheur à temps plein. J’en connais au Royaume-Uni, en Allemagne, en Australie et aux Etats-Unis.
Il y a plusieurs grandes difficultés en ostéopathie : le principe du placébo ostéopathique, l’impossibilité du double aveugle, les critères d’évaluation objectifs et la mise en œuvre de travaux de recherche non subventionnés.

Objectif de l’étude

Objectif : analyser l’efficacité de la prise en charge ostéopathique (en anglais : osteopathic manipulative treatment, ou OMT) lors de lombalgie idiopathique sur les critères de douleur et de capacité fonctionnelle (critères subjectifs).

Définitions

Les auteurs définissent d’abord la lombalgie (low back pain) idiopathique dans son contexte : étant très commune dans nos sociétés développées, les conséquences économiques sont importantes, ainsi que la baisse de la qualité de vie.

Puis les auteurs définissent également la lombalgie chez les femmes enceintes et en post-partum. Il est estimé que les 40 à 50% des femmes enceintes souffrent de lombalgies, avec une prévalence supérieure à mesure que la grossesse progresse. En post-partum, il serait estimé que 28% des femmes à 3 mois, 50% à 5 mois et 67% à 12 mois souffrent de lombalgie.

Ostéopathie : « L’ostéopathie est une approche de santé qui met l’accent sur le rôle du
système musculo-squelettique sur celle-ci et favorise le fonctionnement optimal des tissus de l’organisme par l’utilisation d’une variété de techniques manuelles pour améliorer les fonctions du corps [19]. (…) La prise en charge ostéopathique (osteopathic manipulative treatment : OMT) implique généralement une gamme éclectique de techniques manuelles, qui peuvent comprendre des étirements, des manipulations vertébrales, des techniques isométrique de contracté-relâché dites « d’énergie musculaire », des techniques viscérales, des conseils d’hygiène de vie et de mouvements. Le traitement est caractérisé par une approche holistique du patient et l’OMT peut être appliqué à un grand nombre de régions du corps, parfois éloignées de la zone symptomatique, selon le jugement clinique du praticien [référence 19-21] »

Objectif

L’objectif de l’article était d’examiner l’efficacité de l’OMT pour améliorer la douleur et le statut fonctionnel de patients adultes souffrants de lombalgies idiopathiques, par rapport à un groupe contrôle (soit pas de traitement, soit une techniques « sham » ou placebo, ou un autre traitement afin de comparer l’efficacité de l’ostéopathie) dans une étude randomisée.
[ndlr : cet objectif est le même que les deux revues systématiques publiées antérieurement, mais avec des critères de sélection légèrement différents et un nombre croissant d’article publiés ces dernières années]
Les auteurs suivent les lignes de conduite de la Collaboration Cochrane, qui indique de chercher dans les revues publiées mais également la littérature « grise » d’études non publiées.

Méthodes

Type d’études : études cliniques randomisées, publiées ou non dans toutes les langues.
Type de participants : adultes (>18 ans) avec lombalgies idiopathiques (de la 12ème côte à la région pelvienne) sans limitation de durée (aigüe et chronique) avec exclusion les études incluant des participants ayant des causes connues à leurs lombalgies (par exemple : fracture de tassement, tumeurs, métastases, infections…)
Type d’interventions : la prise en charge devait être réalisée par un praticien ostéopathe, qui avait un choix de techniques selon son jugement clinique, sans restriction de techniques ni de protocole standardisé. Cette approche éclectique et pragmatique semble représenter la réalité de la pratique ostéopathique dans le monde. Les études sur une technique unique étaient exclues.
Type de comparaisons : les études pouvaient comporter tout type de groupe contrôle.
Type de critères d’évaluations : seuls les évaluations réalisées par le patient ont été évaluées (critères subjectifs)
Critères primaires : douleurs et fonction (échelle EVA ou NRS, questionnaires type McGill, Roland-Morris, Oswestry…). Pour la méta-analyse, les chiffres utilisés étaient ceux au plus près de la mesure des 3 mois.
Critère secondaire : effets indésirables.

Recherche : octobre 2013 – Cochrane CENTRAL, MEDLINE, Embase, CINAHL, PEDro, OSTMED.DR, osteopathic web research + recherche manuelle par rapport aux références des articles sélectionnées et recherche personnelle (congrès, communications web…)
Mots-clés : low back pain, back pain, lumbopelvic pain, dorsalgia, osteopathic manipulative treatment, OMT, osteopathic medicine.

Sélection des études : les 3 auteurs ont fait leurs recherches de manière indépendante, puis ont lu les titres et les abstracts. Les études ayant les critères d’inclusion furent lues dans leur intégralité, puis évaluées par chacun des auteurs pour l’inclusion dans l’étude. Les données des études étaient ensuite sélectionnées et standardisées indépendamment par chaque auteur.

Résultats

307 études ont été identifiées. 31 études ont été évaluées et 16 exclues. Sur les 15 restantes:
– 10 sur l’efficacité de l’OMT pour les lombalgie idiopathique;
– 3 sur l’efficacité de l’OMT chez les femmes enceintes;
– 2 sur l’efficacité de l’OMT en post-partum.
Sur ces études, 12 avaient une qualité méthodologique élevée.

Les articles ont montré que l’OMT avait une valeur significative sur le soulagement de la douleur et l’état fonctionnel dans le cas de douleurs aigües, de douleurs chroniques, ainsi que chez les femmes enceintes et en post-partum.

Nous avons identifié 307 études . Trente et un ont été évalués et 16 exclus . Sur les 15 études examinées , 10 ont étudié l'efficacité de l'OMT pour LBP non spécifique , 3 effet de l'OMT pour LBP chez les femmes enceintes , et 2 effet de l'OMT pour LBP chez les femmes en post-partum . Douze avait un faible risque de biais . Preuves de qualité modérée suggéré OMT a eu un effet significatif sur le soulagement de la douleur ( MD , -12,91 ; IC à 95% , -20,00 à -5,82 ) et l'état fonctionnel ( SMD , -0,36 ; IC à 95% , de -0,58 à -0,14 ) à la phase aiguë et LBP chronique non spécifique . Dans LBP chronique non spécifique , preuve de qualité moyenne a suggéré une différence significative en faveur de l'OMT sur la douleur ( MD , -14,93 ; IC à 95% , -25,18 à -4,68 ) et l'état fonctionnel ( SMD , -0,32 ; IC à 95% , -0.58 à -0,07 ) . Pour LBP non spécifique à la grossesse , données de faible qualité a suggéré une différence significative en faveur de l'OMT pour la douleur ( MD , -23,01 ; IC à 95% , -44,13 à -1,88 ) et l'état fonctionnel ( SMD , -0,80 ; IC à 95% , - 1,36 à -0,23 ) , alors que des preuves de qualité modérée suggéré une différence significative en faveur de l'OMT pour la douleur ( MD , -41,85 ; IC à 95% , -49,43 à -34,27 ) et l'état fonctionnel ( SMD , -1,78 ; IC à 95% , -2,21 à -1,35 ) dans LBP non spécifique

Conclusion

Cette analyse a montré que la prise en charge en ostéopathie avec des Eeffets cliniquement significatifs pour réduire la douleur et améliorer l’état fonctionnel chez les patients souffrant de lombalgie aiguë non spécifique et chronique; ainsi que dans le cas de douleurs lombaires chez les femmes enceintes et les nouvelles mères à 3 mois après le traitement.
Les auteurs recommandent des essais cliniques  plus grands, de haute qualité, contrôlés randomisés avec groupes de comparaison robustes.

La recherche avance…

 

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Référence:
Osteopathic manipulative treatment for nonspecific low back pain: a systematic review and meta-analysis. Franke H, Franck JA, Fryer G. BMC Musculoskeletal Disorders 2014, 15:286 doi:10.1186/1471-2474-15-286.
The electronic version of this article is the complete one and can be found online at: http://www.biomedcentral.com/1471-2474/15/286 (Open Access)

Les auteurs:
Helge Franke est un praticien de santé « Heilpraktiker » en Allemagne, depuis 1985. Il a ensuite étudié la chiropratixie et ensuite l’ostéopathie. Il a concrétisé son projet ostéopathique en faisant un Master de recherche clinique ostéopathique à Kirksville, Missouri (USA). Il est également éditeur en chef de la revue « Osteopathische Medizin » d’Elservier en Allemagne. Il avait critiqué la première méta-analyse réalisée par Licciardone en 2005 – car la qualité des études sélectionnées n’était pas suffisante. H. Franke a également aidé à créer l’institut allemand des études ostéopathiques en Allemagne.

Jan-David Franke est un illustre inconnu qui étudie à l’université de Bremen (undergraduate – c’est-à-dire en étude niveau license soit bac +3), il signe son article depuis l’université de Victoria à Melbourne (dont Gary Fryer est le principal responsable). Inconnu, pas pour longtemps, car son nom est désormais en 2ème auteur d’un des articles les plus importants de ces 10 dernières années ! Aurait-il un lien familial avec Helge?

Dr. Gary Fryer n’est plus à présenter… c’est un ostéopathe de renom qui a écrit de nombreux livres sur les techniques ostéopathiques, a publié des dizaines d’articles – notamment sur les techniques d’énergie musculaire – après un doctorat en ostéopathie en 2007 à l’université de Victoria en Australie, il a passé 2 ans à Kirksville (USA) sur des projets de recherche ostéopathique. Et là; sur la photo, je suis super fière.

Gary Fryer et Marjolaine Dey
Gary Fryer et Marjolaine Dey – 2012

Marjolaine Dey: votre bloggueuse qui a retrouvé le chemin de son blog. Merci de me lire, ça me fait plaisir et me motive à continuer.
PS: oui, je suis plutôt grande.

8 réflexions sur « Méta-analyse sur la prise en charge ostéopathique de la lombalgie idiopathique, ou l’ostéo ça marche sur les douleurs du bas du dos ou pas? »

  1. Merci Marjo pour cet article. Je me permets juste de mentioner que l’image des gros mechants editeurs qui font payer pour donner acces a leurs articles versus les gentils Open-access est a prendre avec des pincettes car pour publier un papier open-access il faut defrayer/payer le journal. Par exemple pour BMC musculoskeletal disorders, ca coute1675€ aux auteurs. Cf sur leur site : « BMC Musculoskeletal Disorders therefore levies an article-processing charge of £1325/$2255/€1675 for each article accepted for publication. »
    Bref soit c’est le lecteur qui paie, soit c’est l’auteur mais a la fin l’editeur lui est toujours paye…

    1. Merci Jerry pour ton comment! Je vais continuer à me renseigner sur le sujet, j’ai beaucoup d’échos différents sur le sujet. D’après ce que je comprends, en Open Access, l’avantage c’est que les auteurs paient – mais ne paient qu’une seule fois. Alors que dans la publication traditionnelle, tout le monde paie pleins de fois, ce qui rend les articles populaires extrêmement rentables. Le problème est toujours le même: pour les petits qui souhaitent faire de la recherche bénévolement, il est compliqué de publier en open access, mais également difficile de manière traditionnel, car moins de visibilité. As-tu des suggestions ou d’autres infos à nous donner sur le sujet – mieux encore des lectures qui pourraient m’aider à me renseigner sur le sujet?

      1. Salut Marjo.
        En effet le principe est louable : ca ouvre l’accès a la recherche a tous les praticiens, et pas uniquement ceux qui enseignent, offrant une continuité avec la formation diplomante pour les jeunes praticiens. Concernant les patients ca va dans le sens de les rendre maitres de leur santé en améliorant leur littératie en santé (bien que les articles scientifiques ne sont peut-être pas les meilleurs outils pour y parvenir). En revanche je trouve que c’est beaucoup a assumer pour le chercheur s’il n’a pas une institution pour payer les frais de publi mais faut bien trouver de l’argent quelque part. Pour moi le souci majeur avec l’open access est le non-contrôle qui existe et les abus qui en découlent. Si quelque chose marche et on peut se faire du fric, de nombreux établissements (euh pardon maisons d’edition) fleurissent de niveau inférieur aux precedents – tiens ca me rappelle quelque chose en France… en ostéopathie… mais qu’est-ce que c’est donc ? :) Non revenons a nos moutons, le problème est qu’on voit des articles de très mauvais niveau publiés et qui arrivent sur Pubmed (rien qu’ca !) parce que les journaux arrivent a répondre aux critères de Pubmed mais sans rigueur derriere. En osteo, on a des exemples récents d’articles qui ne valent pas un clou à mes yeux mais parce qu’ils sont sur Pubmed tout le monde les Facebooke. Si le contenu avait été présenté dans un mémoire de fin d’etudes, ca n’aurait pu être validé. Donc je crains l’arrivée d’une sous-recherche (ouuuu le prétentieux !!) accessible a tout le monde où les auteurs qui sont refusés dans les journaux classiques iront payer pour être publiés. Je parle en connaissance de cause car un article que j’ai refusé en tant que reviewer (bénévolement, cela va de soi) pour un journal classique a été publié mot pour mot dans un journal open-access quelques semaines plus tard ! Pour voir un exemple des abus qui se pratiquent : http://poynder.blogspot.fr/2010/02/open-access-linked-to-alabama-shooting.html?m=1

        Voir une liste des publi open-access dites prédatrices : http://scholarlyoa.com/2014/01/02/list-of-predatory-publishers-2014/

        Donc en résume, je trouve l’idée top mais ça va prendre du temps pour que le système fonctionne. Trop de risques actuels avec les journaux frauduleux de créer une sous-recherche ouverte a tout le monde et la recherche pionnière restant accessible a une élite d’enseignants et chercheurs (ce qui ne sert pas a grand chose).

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