Une des références en ostéopathie « scientifique », où le but est de prouver l’action de l’ostéopathie, est sans aucun doute Gary Fryer. Gary a publié énormément d’articles dans des revues à comité de lecture, notamment sur les techniques d’énergie musculaire, une technique populaire chez les ostéopathes. Il travaille actuellement à la Victoria Université à Melbourne. Gary est également très sympathique, j’ai eu la chance de le rencontrer plusieurs fois, dans des conférences internationales en ostéopathie.
Je veux vous parler d’un de ces articles phares: Fryer G. « Muscle energy technique: An evidence-informed approach » International Journal of Osteopathic Medicine 2011;14(1):3-9. C’est un article que tout ostéopathe et étudiants devrait avoir lu.
L’article est en trois parties: l’introduction, puis une présentation des bases de l’ostéopathie informée par les preuves, puis il expose dans une revue de la littérature, les différents éléments informés par les preuves en ce qui concerne les techniques d’énergie musculaire (MET). Je me permets donc, pour chaque partie, de faire un résumé puis un commentaire.
1. Introduction
Définition des MET: dévelopées par Fred Mitchell Sr, utilisées par différents thérapeutes manuels pour mobiliser les articulations et leurs tissus péri-articulaires. Une révision des concepts des MET est conseillée, au vu de la tendance vers de la médecine basée sur les preuves (EBM).
2. Médecine basée sur les preuves (EBM) et médecine informée par les preuves.
Les praticiens médicaux et paramédicaux ont été encouragé à pratiquer selon les principes de l »EBM. L’EBM est critiquée, elle aurait été utilisée à des fins économiques, elle ne prendrait en compte que certains types de connaissances médicales et que ses résultats concerneraient un groupe de patients, plutôt que un patient individuellement. La conclusion de l’auteur étant qu’un équilibre entre l’expérience clinique et la recherche scientifique est nécessaire.
En thérapie manuelle, il est impossible de suivre les règles imposées par l’EBM, car il n’y a pas de preuves de haute qualité sur lesquelles se baser. Traditionnellement, l’EBM a été crée pour soutenir l’expérience clinique et s’intégrer à celle-ci. De nombreux auteurs s’accordent pour conclure que l’interprétation actuelle de l’EBM est étroite, car les traitements se résument à ce qui a été prouvé par des chercheurs, plutôt que par l’expérience clinique. Etant donné que de nombreuses professions ne peuvent se « baser » sur les preuves, une autre terminologie pourrait être de « s’informer par les preuves ». Cela se définit par le processus d’intégration des données de la recherche avec des recommandations personnelles dictées par l’expérience clinique.
2.1 Pour ce faire, l’ostéopathe devra intégrer une pratique en accord avec les données de la recherche, lorsqu’elles sont disponibles. Il lui faudra alors plusieurs qualités:
2.1.1. De la curiosité et une certaine remise en question: afin de confronter ses idées à celles de la recherche et ainsi pouvoir améliorer sa pratique clinique.
2.1.2. Se tenir informé: la lecture d’articles dans des bases de données n’est pas évident lorsqu’on a pas été formé à cela. Les ostéopathes peuvent s’abonner à des revues spécialisées, faire des recherches sur les cas de leurs patients afin de développer une culture de la recherche.
2.1.3. Intégrer les preuves avec son expérience clinique en développant sa lecture critique d’articles publiés.
2.1.4. Appliquer une démarche de chercheur à sa pratique clinique, notamment en évaluant les résultats avec des outils standardisés.
Commentaires: Gary Fryer pose ici les fondements de la recherche ostéopathique appliquées aux ostéopathes en cabinets privés. Pour que l’ostéopathie soit reconnue à sa juste valeur, nous devons nous attelons à la difficile mais indispensable mission de la recherche. La recherche ostéopathique n’est pas une priorité universitaire en France. Elle bénéficie de crédits d’États ou privés dans certains pays (Australie, Royaume-Uni, Etats-Unis…) mais très peu en France. Seules des initiatives courageux d’ostéopathes téméraires permettent de faire avancée la recherche, un pas à la fois. Selon Fryer, c’est chaque ostéopathe qui devrait développer ses qualités de chercheurs, afin d’améliorer sa pratique quotidienne grâce aux preuves publiées dans des articles de chercheurs. Ça serait également de sa responsabilité.
J’aime cette article car il est très important pour moi. Je suis absolument d’accord avec Gary Fryer. En France, nous sommes tellement occupés avec nos problèmes de sur-effectifs que nous avons oublié quelque chose de fondamental: la popularité n’a pas rendu notre profession légitime. Aux yeux de la médecine, nous sommes une blague. Des charlatans qui nous nous appuyons sur des théories peu plausibles d’un barbus du 19ème siècle! Des allumés, au mieux… des charlatans au pire. Le « décorum » imposé par l’ostéopathe serait la seule raison de notre succès… Et comment leur prouver le contraire?
En publiant. Si chacun faisions un audit clinique de notre pratique et le publiait, si chacun avait des critères objectifs d’évaluation, nous pourrions publier des études de meilleure qualité! Si chacun avait la culture de la recherche, nous investisserions de l’argent dans le développement de celle-ci! Car sans elle, nous ne pourrons croître. Nous ne pourrons nous défendre.
Certains n’ont pas hésité à investir dans la recherche ostéopathique: les assurances médicales et autres mutuelles. Ces boîtes ont mené des études -hautement confidentielles- pour se rendre compte de l’efficacité (ou non) de l’ostéopathie, de la popularité des consultations et du coût des remboursements… les résultats sont unanimes: c’est économiquement viable de rembourser les séances! Alors qu’est-ce qu’on attend pour apporter ces preuves?
3. Les MET informées par les preuves.
Un nombre grandissant d’étude montre un effet positif après l’utilisation des MET. Les études montrent une plus grande extensibilité (étirement) du muscle et de mobilité vertébrale, justifiant de son utilisation chez des patients ayant une restriction articulaire ou musculaire, même s’il n’y que peu d’études sur son évaluation clinique. Les deux seules études publiées en anglais montrent une diminution de la douleur après l’utilisation des MET. Le manque de preuve spécifique n’est pas étonnant, car les MET sont généralement utilisées en combinant d’autres techniques.
Des études publiées sur plusieurs techniques ostéopathiques, dont les MET, dans les cas de lombalgies aigües ont montré une efficacité clinique. Ces études apportent plus de preuves à l’efficacité des MET, lorsqu’elles sont utilisées en conjonction avec d’autres techniques ostéopathiques.
Gary Fryer explique ensuite les concepts diagnostiques (3.1):
3.1.1. de la colonne vertébrale: il n’y a pas lien entre la direction des vecteurs utilisés lors des MET et la restriction de mobilité vertébrale. Il note que toutes les études sont en désaccords avec les lois de Fryette.
3.2.2 du bassin: les MET auraient une action indirecte sur les articulations du bassin, en réduisant la tonicité des muscles environnants
3.1.3 implications pratiques et cliniques: une approche pragmatique est proposée, dans le choix des tests et des techniques, en fonction de l’expérience clinique.
3.2.Mécanismes thérapeutiques: il n’existe pas de preuve à ce jour sur la physiologie des MET, par rapport à leurs résultats. Les théories fondatrices ont été mises à mal par la recherche moderne, mais les autres modèles n’ont pas encore été prouvé. Les effets qui ont été découverts sont: l’hypoalgésie, un changement de la proprioception et du contrôle moteur local et des changements dans les fluides des tissus environnants.
Des études EMG ont montré que les MET augmentent la tonicité musculaire, mais améliore également sa souplesse.
4. les MET informées par les preuves
4.1. augmentation de l’extensibilité du muscle: plus efficace d’un étirement seul. La partie étirement du MET devrait durer de 15 à 60 secondes, en fonction de la chronicité du problème (aigü = court; chronique = long).
4.2. MET vertébrales: cas douleur aigüe – techniques qui encouragent l’hypoalgésie, la proprioception et la circulation des fluides avec des contractions isométriques dans la zone non-douloureuse; alors que pour les cas chroniques – les MET devraient être appliquées à la barrière de la mobilité, avec de longs étirements.
4.3. MET sur le bassin: il est conseillé de considérer une dysfonction des sacro-iliaques comme étant en hypomobilité, ou en hypermobilité, comme chez la femme enceinte hyperlaxe; afin de considérer les changements éventuels dans le contrôle moteur.
5. Conclusion: la pratique informée par les preuves est résumée comme l’intégration des preuves publiées et de l’expérience clinique, tout en gardant une transparence dans le processus de prise de décisions cliniques. Il y a un manque de recherche sur le sujet, mais les données émergentes montrent l’utilité et l’efficacité clinique des MET.
(il y a 120 références pour cet article, disponible par sciencedirect.com)
Commentaires: La suite de la discussion est également intéressante, surtout que son auteur nous démontre que la pauvreté de la recherche en ostéopathie nous empêche de baser notre démarche clinique sur les preuves, ce qui nous pénalise dans le monde actuel.
Il y a des possibilités pour publier: il faut se former, être motivé et avoir l’esprit ouvert. Il est important de se tenir informé et de participer à l’effort de recherche. Chaque ostéopathe a cette possibilité, grâce à ses patients. Chaque étudiant a cette possibilité grâce à son mémoire.
Je vous souhaite de belles découvertes!