Dr. Licciardone, chercheur de renom en ostéopathie, est un ostéopathe médecin (DO MD) américain. C’est lui qui a publié la première (et l’unique) méta-analyse sur l’efficacité de l’ostéopathie dans le traitement des personnes souffrants de lombalgies basses idiopathiques chroniques. Ses conclusions étaient que l’ostéopathie était efficace dans le traitement des lombalgies basses chroniques, les résultats étaient meilleurs que les placébos utilisés et que les effets duraient au moins 3 mois. Il concluait, comme il est habituel, qu’il serait nécessaire de continuer les études cliniques avec une meilleure méthodologie et des critères d’évaluation comparables.
Cet article lui avait attiré de nombreuses critiques (dont une publiée ici), notamment à cause de la faible qualité des articles sélectionnés et le fait qu’il ai attaché trop d’importance à la significativité de l’analyse statistique. Difficile d’en vouloir à Licciardone, qui a sélectionné les articles ayant la plus haute qualité, dont certains qu’il avait publiés lui-même. De plus, le principe d’une méta-analyse est justement une démarche statistique; combinant les résultats d’une série d’études. La méta-analyse permet une analyse plus précise des données par l’augmentation du nombre de cas étudiés, de tirer une conclusion globale et de surmonter le problème de puissance statistique réduite dans les études d’échantillons de petites tailles. (Référence: Cucherat M, Boissel JP, Leizorovicz A, Manuel pratique de méta-analyse des essais thérapeutiques (livre électronique) 1997. université de Lyon 1, CHU Lyon – consulté le 02/04/2013)
Licciardone a cette fois-ci publié dans BMC Musculoskeletal Disorders un article en accès gratuit (l’avenir de la publication scientifique à mes yeux, en savoir plus ici) nommé « OSTEOPATHic Trial ». Cet article est très long, très riche et aura le droit à plusieurs billets sur ce blog!
Cette étude est la plus grande jamais effectuée au monde sur l’efficacité de l’ostéopathie sur la lombalgie basse chronique. Cette étude était randomisée, contrôlée, en double insu (j’en reparlerai). Les chercheurs ont effectué 4 groupes (design factoriel 2×2): ostéo (OMT) et sham-ostéo (techniques ostéopathiques placébos, type light touch) vs thérapie ultrason (UPT) et sham-UPT (appareil à ultrason débranché). Il y a eu 6 traitements sur une période de 8 semaines, les sujets étant contrôlés jusqu’à 12 semaines après le début de l’étude. La conclusion est sans équivoque: la prise en charge en ostéopathie des personnes souffrants de lombalgies basses chroniques est efficace (en fonction des critères Cochrane « Back Review Group » – le plus haut niveau de méthodologie disponible). De plus, Licciardone ajoute que le traitement est sûr (safe = sans danger), parcimonieux et bien accepté par les patients.
Aujourd’hui, je veux vous amener à bien comprendre la méthodologie utilisée dans cette étude. Licciardone et son équipe ont passé du temps pour étudier et choisir une méthodologie de haut niveau, qui puisse être acceptée par les chercheurs et validée par Cochrane.
1161 personnes ont été contactées, au final 455 personnes ont été randomisées, c’est à dire assignées au 4 groupes de l’étude. L’aspect innovant de cette étude et le design: chaque personne allait recevoir, lors de chacune des six session de prise en charge deux traitements: l’un OMT ou sham OMT et l’autres UPT (ou sham UPT).
Ainsi, chaque personne est son propre contrôle. Les analyses statistiques peuvent être réalisées en intention de traiter, grâce à l’analyse de variance (ANOVA). Cela permet l’évaluation des résultats des mesures répétées au cours de l’étude et l’interaction entre les facteurs étudiés.
Techniques utilisées en ostéopathie
Cette étude est pragmatique, c’est à dire qu’elle se veut la plus proche possible de la prise en charge classique en cabinet d’ostéopathie.Un protocole a néanmoins était mis en place, afin d’assurer une certaine standardisation dans la prise en charge, ce qui permet de standardiser le sham-OMT et le faire ressembler en tout point à la prise en charge ostéopathique (OMT).
– le patient est évalué en position assise: tests des dysfonction thoracique et lombaire. Les résultats des tests sont consignés: la tonicité des érecteurs et les dysfonctions somatiques (DS) gradées de 0 à 2 (0: pas de DS; 1: DS modérée; 2: DS sévère);
– le patient est ensuite évalué en décubitus ventral (DV): tests du bassin et sacrum (DS sacro-iliaques gradées de 0 à 2, comme ci-dessus);
– le patient est ensuite placé en position décubitus latéral (DL) à gauche puis à droite pour les techniques de tissus mous, d’énergie musculaire (MET) et HVLAT (techniques de manipulation haute vélocité, basse amplitude) des lombaires et des sacro-iliaques;
– le patient se positionne enfin en décubitus dorsal (DD), avec tests et traitement du bassin (particulièrement pubis) à grader de 0 à 2, viscères et ptentiellement des techniques de counterstrain (techniques de Jones) sur le psoas et les lombaires.
– le praticien est libre d’utiliser 5 techniques additionnelles, selon son évaluation, le résultat de ses tests et l’évolution du patient au cours des séances.
Les praticiens choisissaient donc les techniques les plus appropriées par rapport aux cas de leurs patients, la prise en charge évoluant au fur des séances. La consigne était d’utiliser les 14 techniques suivantes, décrites dans le Glossary of Osteopathic Terminology, représentatives des techniques utilisées le plus fréquemment par les ostéopathes sur des personnes souffrant de lombalgie:
– articulatory treatment (ART),
– balanced ligamentous tension/ligamentous articular strain treatment (BLT),
– cranial treatment/osteopathy in the cranial field/cranial osteopathy (CR),
– counterstrain treatment (CS),
– direct treatment (DIR),
– facilitated positional release treatment (FPR),
– high velocity low amplitude (thrust) treatment (HVLA),
– indirect treatment (IND);
– integrated neuromusculoskeletal release (INR),
– ligamentous articular strain/balanced ligamentous tension treatment (LAS),
– muscle energy treatment (ME),
– myofascial release treatment (MFR),
– soft tissue treatment (ST), and
– visceral manipulative treatment (VIS).
Sham-OMT: light touch
Il est très difficile d’avoir un « bon » placébo en thérapie manuelle, car le praticien sait forcément s’il effectue une technique ou non et peut à tout moment connaitre l’état physique du patient par la palpation et des tests de mobilité. Le groupe « sham » est donc forcément en simple aveugle.
Le protocole light touch est effectué dans les mêmes positions que la prise en charge ostéo (assis, DV, DL gauche et droit, DD) et le praticien effectue les même tests et ensuite pose les mains sur les mêmes zones, en évitant de mobiliser les articulations et muscles associés.
Cette méthodologie de light touch a été validé par le North Texas Chronic Low Back Pain Trial (également organisé par Licciardone) et semble devenir le gold standard en ostéopathie actuellement.
Ultrason: UPT
Suite à la session d’OMT ou sham OMT, les praticiens ostéopathes (préalablement formés aux techniques UPT dans le cadre de la lombalgie basse chronique) utiliseront une machine à ultrason réglé à une intensité de 1,2W/cm² avec une fréquence de 1 MHz. Un applicateur de 10cm² est utilisé sur la peau, lubrifiée avec un gel spécifique qui améliore la conductivité. La séance dure environ 10 minutes, dans l’objectif de couvrir une zone de 150 à 200cm².
Sham UPT
Le même protocole, simplement la machine est réglée à 0,1W/cm² et intensité de 1 MHz, ce qui est accepté comme sous les niveaux thérapeutiques. L’opérateur de la machine ne sait pas à quel niveau est réglé l’ultrason, ainsi cette partie est réalisée en double insu (ni le patient, ni le praticien ne savent si c’est le groupe « traité » ou le groupe « sham »)
Critères d’évaluation
EVA: Echelle Visuelle Analogique. Représentée par une ligne horizontale avec « absence de douleur » à son extrémité gauche (mesurée à 0mm) et « douleur insupportable » de l’autre côté (mesurée à 100mm)
Roland-Morris Disability Questionnaire: questionnaire de 24 questions mesurant le statut fonctionnel et le handicap. Plus le score est élevé, plus le handicap est grand.
Medical Outcomes Study Short Form – 36 Health Survey (SF-36): questionnaire généraliste de santé et de qualité de vie noté de 0 à 100 (0 étant la pire qualité de vie, 100 étant la meilleure)
Nombre de jours d’arrêt de travail: pour les personnes qui ont un emploi, la question est la suivante: « Lors de ces quatre dernières semaines, combien de jours votre lombalgie vous a t-elle empêché de vous rendre au travail? »
Satisfaction de la prise en charge: Question unique mesurée sur une échelle de Likert (4 possibilités de « très satisfait » à « pas satisfait du tout ») « Comment décririez-vous votre satisfaction avec la prise en charge proposée pour votre lombalgie? »
Les critères d’évaluations ont été utilisés selon le diagramme suivant.
Critère d’évaluation | Pré-randomisation | Traitement 0 | TTT 1 | TTT 2 | TTT 4 | TTT 6 | TTT 8 | TTT 12 |
EVA | × | × | × | × | × | × | × | × |
Roland-Morris | × | × | × | × | ||||
SF-36 | × | × | × | × | ||||
Jours d’arrêt de travail | × | × | × | × | ||||
Mesure de satisfaction du TTT | × | × | × |
Analyse de la figure supplémentaire
Dans la figure suivante, Licciardone et son équipe détaillent le processus pour chacun des groupes. J’attire votre attention sur la partie « Follow-up patients » où l’on peut remarquer le nombre de patients au cours de l’études: certains patients ont:
– arrêté l’étude (discontinued treatment);
– été perdus de vue, c’est à dire qu’il ne sont pas revenus, en général sans donner d’explication (Lost to follow-up);
– développé une contre-indication à la prise en charge et/ou à l’étude (Developed contraindication);
– eu des effets indésirables (Experienced adverse event), dont des effets indésirables « sérieux » (experienced serious adverse event).
Du personnel dédié à la sécurité a été recruté, indépendant à l’étude et à l’aveugle sur le groupe dans lequel appartenait les patients. Une personne a donc revu les patients qui ont développé des contre-indications ou des effets indésirables au traitement. Sont définis comme effets indésirables sérieux: les conditions nécessitant une hospitalisation, une invalidité sérieuse ou permanente et le décès.
Au total, seul un patient a développé une contre-indication à la participation, lié à l’OMT. Cette contre-indication implique une contracture des muscles du dos suite à la prise en charge en OMT.
Il y avait 27 (6%) patients atteints d’événements indésirables. Neuf (2%) patients ont eu un événement indésirable grave, aucun n’était liés à une intervention de l’étude. Il n’y avait pas de différence significative entre les groupes sur la fréquence de ces évènements.
Comme on peut le voir sur la figure, certains patients ont développé des effets indésirables suite aux séances dans la même proportion, tout groupe confondu: OMT, sham-OMT, UPT et sham-UPT.
Il est extrêmement important de diffuser ces résultats, en marge des excellents résultats sur l’efficacité de la prise en charge en ostéopathie: la prise en charge ostéopathique dans l’OSTEOPATHIC Trial n’a pas provoqué d’éffets indésirables ou néfastes, sur un groupe de 230 personnes souffrants de lombalgie.
La suite de l’analyse viendra dans un prochain billet. Vous pouvez dés maintenant consulter l’article complet ici.
Référence:
Licciardone JC, Minotti DE, Gatchel RJ, Kearn CM, Signh KP. Osteopathic Manual Therapy for Chronic Low Back Pain: A Randomized Controlled Trial. Ann Fam Med March/April 2013;11(2):122-129
Protocole:
Licciardone JC, King HH, Hensel KL, Williams DG. OSTEOPAThic Health outcomes In Chronic low back pain: The OSTEOPATHIC Trial. 2008;2(5). http://www.om-pc.com/content/2/1/5
Bravo !! ton article reprends l’essentiel et est surtout bien écrit. merci je n’en manquerais pas d’autres !