Ostéopathie pédiatrique – émission Allo Docteur

Cette émission n’est décidément vraiment pas bonne pour ma santé, une précédente émission avait déjà occasionné un billet sur ce blog.

Je vous explique, pour ceux d’entre vous qui n’ont pas eu la chance de voir l’émission Allo Docteur du 2 octobre 2013 (lien ici): Dr. Michel Cymes et Dr. Marina Carrère-d’Encausse ont invité Dr. Robert Cohen (pédiatre au centre hospitalier intercommunal de Créteil), Mme Catherine Rybus (ostéo pédiatrique) et Chrystelle Eychenne (« témoin » convaincue). Cette fois les présentateurs se montrent cordiaux, mais ont parfois du mal à conserver leur impartialité. Comme d’habitude, le gentil médecin invité se base sur le manque de preuves pour dire que l’ostéopathie n’a aucun effet, contrairement à la toute puissante médecine, qui elle peut prouver tout ce qu’elle fait.

Dr. Cohen, je suis allée vérifier vos sources.

Posadzki P, Lee MS, Ernst E. Osteopathic Manipulative treatment for pediatric conditions: a systematic review. Pediatrics 2013 Jul; 132(1):140-52 (abstract ici)

Premièrement, Dr. Cohen, la prochaine fois que vous citez un article scientifique dans un argumentaire, même à la télé, il est correct de citer au moins l’auteur et/ou la revue (pour faciliter la vérification par autrui) et de ne pas en déformer le contenu (même si ma profession n’a pas encore de code de déontologie unique, je connais quelques règles scientifiques de base). Deuxièmement, parlez de ce que vous connaissez: contrairement à ce que vous énoncez, cette étude n’est pas une méta-analyse, mais une revue systématique. La différence vous échappe peut être, à moi non.

Résumé de l’article

L’objectif de cette étude citée plusieurs fois par le Dr. Cohen est de chercher dans les bases de données principales les articles de type « Randomized Clinical Trials » (RCTs = Essais cliniques randomisés) avec au moins un groupe traité et un groupe contrôle (essais cliniques randomisés contrôlés), sur le sujet de l’ostéopathie pédiatrique, depuis la création de la base jusqu’en novembre 2012. En tout, 17 articles, soit 887 sujets, ont été retenus et classés selon les critères méthodologiques de Cochrane. Parmi ceux-ci:
– 7 articles montraient que l’ostéopathie chez l’enfant était bénéfique dans les cas suivants: symptômes asthmatiques, canaux lacrymaux bouchés, en néonat: prise de poids améliorée et durée d’hospitalisation réduite, colique infantile, otite.
– 7 autres articles montraient que l’ostéopathie n’avait pas effet significatif sur les symptômes asthmatiques, la scoliose idiopathique, l’apnée obstructive, les désordres temporo-mandibulaires et l’infirmité motrice cérébrale (cerebral palsy);
– 3 articles ne rapportaient pas de comparaison entre leurs deux groupes [2 articles étaient en fait une mise en place de protocole (réf 24 et 29); et un article concluait des résultats favorables à l’ostéo sans en apporter les chiffres (réf 15)]

Après vérification dans l’étudee en version intégrale, les articles datent de 1984 (1); 2003 (1); 2005 (2); 2006 (2); 2008 (5); 2009 (1); 2010 (3); 2011 (1); 2012 (1). Je n’ai pas eu le temps, ce soir, de relire tous ces articles, je m’en excuse… Je n’ai lu que cet article de Posadzki et al, qui est très bien construit – je le recommande aux étudiants en ostéopathie qui souhaitent réaliser une revue de la littérature (la méthodologie est très bien détaillée). Il n’est malheureusement pas disponible gratuitement en texte intégral, mais vous le trouverez dans les bibliothèques universitaires.

Cette revue comporte 15 articles cliniques (car deux des 17 sont des protocoles et non pas des RCTs) dont 8 articles ayant des résultats significatifs en faveur de l’ostéopathie. Il y a donc dans cette revue une majorité d’articles cliniques dont les résultats sont favorables à l’ostéopathie, même si le nombre de patients est insuffisant pour conclure de manière définitive. Les auteurs concluent qu’actuellement, les données ne sont pas suffisantes pour conclure.

Critique de la recherche

Je résumerai ici quelques points négatifs communs à de nombreuses études ostéopathiques, tirés de l’article du jour. Seules 3 des études avaient un effectif suffisant. En ce qui concerne l’utilisation d’un groupe placébo, seules 4 études en ont utilisé, mais deux de celles-ci ont été jugées comme « non crédibles » par les auteurs de cet article (références 16 et 19); quant aux deux autres études, l’une montre que l’ostéo est plus efficace qu’un placébo, l’autre le contraire. Les auteurs évoquent également le problème des critères de jugement (toujours différents), la paucité de la méthodologie statistique, la variabilité des techniques utilisées (lorsqu’elles sont décrites) ainsi que la fréquence, la durée et le nombre de traitements.

Dans ces conditions, une méta-analyse est impossible: premièrement parce qu’il n’y a simplement pas assez de données, deuxièmement parce que ces données ne sont pas de bonne qualité, troisièmement parce que les données sont absolument hétérogènes et donc les critères essentiels à la mise en place d’une méta-analyse ne sont pas réunis, n’est-ce pas Dr. Cohen.

En ce qui concerne les effets indésirables, toutes les études rapportant ces effets ont montré qu’il n’y avait pas d’effet indésirable… Sauf que moins de la moitié des études l’ont fait, soit 46%. Les auteurs des autres études n’ont pas jugé bon de vérifier la possibilité d’effets indésirables ou de publier sur le sujet.

Les auteurs suggèrent de suivre les ligne de conduite CONSORT afin de mettre en place une méthodologie rigoureuse et homogène des essais cliniques randomisés, comme par exemple recruter un nombre suffisant de sujets en fonction du calcul d’effectif prospectif, utiliser le double insu, mettre en place un suivi sur le long terme, utiliser des critères de jugement objectifs validés par la littérature et instaurer une comparaison grâce à un groupe contrôle.
Messieurs les auteurs, Messieurs-Dames les chercheurs en ostéopathie, j’ai le regret de vous annoncer qu’à cause d’un manque absolu de moyens, de structures et de législation, il est actuellement impossible en France de mener à bien un projet en ostéopathie pédiatrique (notamment sur les bébés de moins de 6 mois). De plus, il n’y a actuellement aucun critère de jugement objectif validé spécifique à l’ostéopathie (ne me parlez pas du SOAP Note Form, vaste supercherie ostéopathique). Qui plus est, je lance le défi à quiconque aura lu ce billet de m’expliquer comment mettre en place une étude en double aveugle dans le domaine de la thérapie manuelle.

Restons modestes

Les auteurs modèrent ensuite leurs propos, car il est important de le faire: tout d’abord, ils signalent qu’il est possible que certains articles publiés ait échappé à leurs recherches. Ensuite, ils déclarent ne pas pouvoir faire de comparaisons statistiques entre les études, à cause de l’hétérogénéité de celles-ci. Sans oublier que le biais de la publication est un facteur important qui pourrait, soit exclure des études ostéopathiques de revues à haut niveau de preuve, soit écarter des études montrant des résultats non significatifs (en effet, les revues préfèrent, en général, prouver que quelque chose fonctionne, plutôt que de prouver que cela ne fonctionne pas… sauf dans le cas de l’ostéo!). Dernièrement, les articles étudiaient de nombreuses conditions pédiatriques différentes, ainsi les auteurs admettent qu’il est absolument impossible d’en tirer des conclusions définitives, et que leurs conclusions ne sont pas tirées avec « autant d’assurance qu’ils les auraient aimées », en VO: « (…)thus, our conclusions cannot be as confident as we would have liked them to be »

Conclusions: aucune conclusion ne peut être tirée, donc « jusqu’à preuve du contraire, l’ostéopathie ne peut être considérée comme une thérapie efficace dans les conditions pédiatriques, et les ostéopathes ne devraient pas prétendre le contraire » – ce qui donne en VO: « Until such data are available, OMT cannot be regarded as an effective therapy for pediatric conditions, and osteopaths should not claim otherwise ».

Belle impartialité!!! Je n’ai, pour l’instant, jamais rencontré ce genre de remarques déplacées dans une revue à haut niveau de preuve.

Critique de l’article

Les auteurs soulignent le fait que les articles publiés par des non-ostéopathes sont systématiquement défavorables à l’ostéopathie, alors que ceux qui sont publiés par des ostéos sont systématiquement favorables… Un joli biais de publication.

En décortiquant l’article, on se rend compte que les auteurs ne sont pas très objectifs dans leur démarche: des 17 articles choisis, plusieurs n’auraient pas du être sélectionnés (notamment deux protocoles, deux articles introuvables – les auteurs se sont basés sur la lecture de l’abstract – et l’étude de 1984 qui aura 30 ans l’année prochaine n’est pas comparable aux autres). Au final, on se retrouve avec si peu d’articles qu’une revue systématique de cette ampleur n’aurait pas été sélectionnée à la publication.
Les articles décrivent des maladies très différentes (de la prise de poids en néo-nat à la fonction respiratoire des adolescents avec scoliose), les catégories d’âges allant des grands prématurés à de jeunes adultes de 17 ans.

Pour faire une comparaison, je suggère que nous écrivions un article sur « l’efficacité de la prise en charge médicale des maladies pédiatriques: une revue systématique ». Nous pourrions sélectionner des articles sur cette dernière année (parce qu’il y a beaucoup de publications), des nouveaux-nés aux jeunes adultes, en passant par les maladies génétiques, squelettiques et autres affections généralement traitées par un pédiatre. Je doute que les résultats soient favorables à cette médecine qu’on appelle pédiatrique: lorsqu’on souhaite prouver quelque chose et qu’on y met suffisamment de mauvaise foi, on y arrive systématiquement.

Je ne comprends pas comment un article aussi pauvre peut trouver sa place dans une revue aussi prestigieuse (la plus citée en pédiatrie, deuxième impact factor le plus haut en médecine pédiatrique) et ensuite être utilisé par des personnes qui ne l’ont clairement pas décortiqué. Afin d’éviter toute situation gênante, surtout si vous êtes interviewé à la télé, je vous conseille de lire un article entièrement avant de le citer…

Conclusion

Donc cet article montre qu’il n’y a pas assez d’études pour conclure, et non pas que l’ostéopathie n’est pas efficace. De plus, si vous souhaitez que nous vous donnions des preuves en double insu avec un placébo crédible et des critères de jugement tirés de la littérature, nous sommes cuits. La recherche telle qu’elle est faite aujourd’hui ne permet pas aux ostéopathes et autres thérapeutes manuels de prouver leur efficacité. Seul le modèle [imparfait] de l’intervention complexe pourrait nous aider, mais il n’est pas répertorié dans les guides de méthodologie de Cochrane (entre autres). Les études issues de ce modèle ne sont pas jugées « sérieuses ». Impossible pour nous de nous en sortir! 

Dr. Cohen: « [s’adressant aux ostéopathes] montrez-nous des études qui montrent que ça marche »
Réponse: C’est demandé si gentiment, pourquoi pas cette revue systématique sur la thérapie manuelle (dont l’ostéo) dans le cadre des maladies respiratoires pédiatriques (asthme, mucoviscidose et infections bronchiques), ou bien celles ci chez les adultes, de Licciardone (2005) ou Orrock et al (2013). Non, elles ne vous plaisent pas celles là? Vous ne retenez que celles qui disent que l’ostéo ne fonctionne pas.

A mon tour maintenant: montrez-moi où sont les preuves de l’efficacité de la kinésithérapie, pourtant remboursée par la sécurité sociale? Montrez-nous l’efficacité des traitements pédiatriques actuels… et l’habituel « laissez-faire, ça se remettra tout seul », c’est basé sur des preuves aussi? En fait, Dr. Cohen, la médecine telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui en France n’est en majorité pas fondée sur les preuves. Alors comprenez mon ras le bol, lorsqu’on me rabâche à longueur de journée que ma profession, officiellement reconnue en 2002 puis en 2006 n’aurait pas le droit de grandir, se développer et de prouver son efficacité.

L’ostéopathie est une profession jeune, notamment en France. Nous avons besoin de former les futurs jeunes diplômés pour qu’ils deviennent des ostéopathes compétents, mais également de bons consommateurs de littérature. Nous avons besoin de structures pour nous former afin de devenir de bons chercheurs et ainsi développer les études de haute qualité méthodologique nécessaires à la profession.

Je tiens à remercier Mme Catherine Rybus, qui a brillé par son intelligence et sa répartie. Merci d’avoir représenté la profession ostéopathique.

26 réflexions sur « Ostéopathie pédiatrique – émission Allo Docteur »

  1. Je t’adore ! Ils faut vraiment plus de gens comme toi qui ont des compétences exceptionnelles dans les analyses d’articles pour faire évoluer l’ostéopathie en France et dans le monde. Postule pour la prochaine émission ;)

    1. Merci!!! N’hésitez pas à en poster à l’avenir, ça m’aide à me motiver pour passer des heures à lire des articles et des bouquins de méthodologie! MD

  2. Excellente réponse. Superbement bien construite!! Galileo Galilei avait raison, la terre était ronde mais il n’y avait pas à l’époque manière de le prouver. Faudra attendre, créer de filières de formations qui tiennent la route et peut-être ne pas oublier que la génialité de l’ostéopathie est fondée sur une pensée plus flexible que la pensée scientifique(d’où la difficulté de trouver des moyens pour démontré son efficacité autre que le dire de nos patients)et que souvent démontre ce qu’elle a envie de montrer!!!
    Bonne journée à tous.

    1. Nous y arriverons! Surtout ne pas baisser les bras, restons solidaires et avançons dans la même direction. Il est important de continuer à faire progresser la recherche! Merci pour vos encouragements, qui me vont droit au coeur!

    1. Merci Pierre. On a même pas besoin de chercher si loin!! on peut même parler de pédiatrie tout court, combien de pédiatres prescrivent de l’Inexium aux nourrissons? médicament interdit au moins d’un an… Comme quoi même la médecine n’est pas basée sur les preuves…

    1. Merci beaucoup! Lorsque vos petits patients vous parleront de l’émission, vous aurez toute la rhétorique de prête! Bonne continuation!

  3. Superbe article. Bien construit et pertinent.
    Ca fait du bien de lire ça car l’émission m’avait énormément déçu et je trouvais que c’était encore une fois la même rengaine du docteur : « montrez moi des preuves,… »
    L’as tu envoyé à Allo docteur ou au Dr Cohen?

    1. Merci bien! Non, je n’ai rien envoyé – je ne pense pas que ça change quoi que ce soit, ça ne fera changer l’avis de personne. Par contre je suis en train de rédiger une lettre à l’éditeur de la revue américaine « pediatrics », car il y a de nombreuses critiques à faire sur la méthodologie et le contenu de l’article.

  4. Bonjour je suis la « témoin convaincu » de l’ émission du 2 octobre! Je suis en accord total avec ce que vous dite ! Je l avais en face de moi et mon dieu j aurait aimer le faire taire !

    1. Merci pour votre commentaire!!! Je suis ravie que vous ayez trouvé votre chemin jusqu’à mon blog!!! Merci d’avoir été à l’émission, ça ne devait pas être facile! Bravo pour votre témoignage, vous et votre famille êtes la raison pour laquelle nous continuons notre métier et nous nous accrochons pour faire avancer la recherche et ainsi prouver notre efficacité. Encore Merci, Marjolaine Dey

  5. Bravo pour votre analyse! Votre conclusion est très claire et j’ai essayé d’expliquer cela a un docteur cette semaine. Quand ils sont ouverts ils comprennent, petit a petit on y arrivera. Et les patients qui parlent de nous a leur pédiatre ou docteur font changer les mentalités aussi. Ça ne se fait pas en un jour mais je vois du positif depuis que je travaille. Encore bravo!

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