Recommandations de bonne pratique: les déformations crâniennes positionnelles

Le moment tant attendu est arrivé: la Haute Autorité de Santé a publié des recommandations de bonne pratique le 5 mars 2020, au sujet des déformations crâniennes positionnelles (que l’on appelle en langage courant tête plate, et chez les pros la plagiocépalie ou brachycéphalie). C’est une excellente nouvelle parce que nous étions tous très embêtés: le couchage sur le dos est recommandé pour limiter la mort inattendue du nourrisson (anciennement mort subite) mais cela augmente le facteur de risque de déformation du crâne. Comment faire pour orienter les parents au mieux, pour protéger leurs enfants du risque de mort subite et de tête plate?

La fiche est très bien faite, je vous invite à aller la lire (cliquer ici pour le lien), je vous propose ici mon analyse et les conseils que je continuerai à donner au cabinet – car je suis soulagée de voir que je suivais déjà les recommandations de bonne pratique avant leur publication! Je décris dans un précédent article mon point de vue sur la plagiocéphalie, ses définitions et sa prévention, allez le voir ici.

La HAS répète les conditions de sécurité optimales pour le sommeil la nuit:
– bébé sur le dos, lit à barreaux, pas de tour de lit, pas de doudou/peluche/oreiller, pas de couverture mais plutôt une gigoteuse;
– température de la pièce de 18 à 20°;
– dans la chambre des parents/un parent dort dans la même chambre, avec des surfaces de couchage distinctes.

Ce qui veut dire que pendant la JOURNÉE, SOUS SURVEILLANCE, il est bénéfique et recommandé de proposer d’autres positions au bébé que seulement sur le dos. Pas forcément dans un cocon, un transat ou autre matériel de puériculture, mais directement sur un tapis sur le sol. Cela encourage la motricité libre du bébé, qui ainsi peut se développer correctement.
Je précise que cela est possible dés la naissance. De nombreux parents attendent des semaines voire des mois avant de proposer la position sur le ventre EN ÉVEIL SOUS SURVEILLANCE à leur bébé et c’est bien dommage! On peut également poser les bébés sur le tapis d’éveil sur un de leur côté, pour qu’ils découvrent cette latéralisation!
Personnellement je recommande un tapis de yoga ou de pilates (un peu plus épais) plutôt que le tapis d’éveil vendu en magasin de puériculture, car je trouve que les bébés sont bien protégés du froid éventuel du sol et la surface est anti-dérapante, ce qui facilite leurs progressions motrices.

Si le bébé n’a pas une mobilité optimale de la colonne vertébrale, il va alors tourner la tête toujours du même côté et parfois tout le corps dans le même sens (appelé virgule ou « en banane ») ce qui peut amener à une déformation du crâne lorsque son crâne est malléable (moins de 6 mois), dans ce cas la HAS recommande les choses suivantes:
– un bilan sur les facteurs de risque dés la maternité pour informer les parents (!) puis à chaque visite de contrôle jusqu’à un an;
– stimuler le bébé pour qu’il soit encouragé à tourner la tête vers son côté difficile;
– en période d’éveil et sous surveillance: mettre le bébé sur le ventre et le côté;
– informer les parents sur la motricité libre et donner des conseils;
– encourager l’allaitement maternel qui est protecteur;
– porter le bébé dans les bras et en écharpe;
– gestuelle du quotidien: enrouler les épaules et le bassin (attention aux porte-bébés dits physiologiques, où les jambes sont raides!);
– Il est recommandé d’adresser les enfants présentant un torticolis postural ou musculaire vers un kinésithérapeute à orientation pédiatrique, dés le premier mois de vie. Une ordonnance type pour rééducation neuromotrice d’une asymétrie posturale doit spécifier les éléments suivants : indication médicale, organe cible, localisation, objectifs des soins.

C’est donc le médecin/pédiatre dés la maternité qui devrait faire le premier dépistage, puis le médecin qui effectue le suivi de l’enfant dans sa première année de vie. Mais également les sage-femmes pendant la préparation à la naissance, les professionnels de la PMI et si besoin les kinés pédiatriques.

Et l’ostéopathie?

Nous savons qu’il y a peu d’articles scientifiques publiés sur le thème de l’ostéopathie, problème de financement notamment pour la recherche en ostéo. Nous attendions avec impatience la « sentence » de la HAS, qui base ses recommandations uniquement sur les travaux de recherche. Voici un extrait du mémo:

  • Actuellement les données scientifiques ne permettent pas de recommander l’ostéopathie. Une approche ostéopathique à orientation pédiatrique peut être associée à la kinésithérapie en deuxième intention dans le cadre d’une prise en charge pluri-professionnelle.

Et c’est une formidable victoire pour toute la profession, car même si nous n’avons pas les données publiées, la HAS rédige qu’il n’y aurait pas de contre-indications pour l’ostéo chez les nourrissons souffrant de déformations crâniennes. Cela va désormais motiver toute une génération d’étudiants ostéopathes à publier, pour apporter les preuves nécessaires à la prise en considération de l’ostéopathie. Vu que certains ostéopathes reçoivent en consultation des bébés, ils peuvent être des acteurs importants pour le dépistage et la mise en place de conseils. Ce maillon supplémentaire est un réel atout.

Pourquoi cela réjouit les détracteurs de l’ostéopathie

Tout simplement parce le rapport cite un état de fait: il n’y a pas assez de preuves des effets de la pratique ostéopathique. Je suis la première à le déplorer et c’est une de mes motivations pour écrire dans ce blog (un peu délaissé ces derniers temps, il est vrai!) pour vulgariser la recherche scientifique et la proposer aux ostéopathes mais aussi au grand public.

Pour moi, cela ne veut pas dire que l’ostéopathie n’a pas sa place, ou n’est pas efficace. C’est simplement que pour l’instant il n’y a pas assez de preuves écrites. Cela me donne envie de faire des résumés des articles déjà publiés pour un prochain billet sur le blog pour montrer qu’il y a bien des preuves d’efficacité, mais que pour l’instant le niveau de preuve n’est pas assez élevé. Cela viendra, les ostéopathes (et autres thérapeutes manuels!) vont dans le sens de la recherche.

En lisant les tweets et autre publications sur les réseaux sociaux, les habituels détracteurs de l’ostéopathie prétendent que les parents et leurs bébés vont désormais déserter les cabinets d’ostéopathie. Personnellement, je souhaiterais voir moins de bébés déformés dans mon cabinet. Mais actuellement, aucun dépistage n’est fait, aucun conseil n’est donné. Rares sont les médecins formés au dépistage et aux conseils à donner. Rares sont les kinés pédiatriques qui ont la possibilité de recevoir les bébés rapidement! La majorité du temps, on dit aux parents que ça passera tout seul. Cela ne satisfait pas les parents, qui vont chercher chez l’ostéopathe un deuxième avis. D’où l’importance de ces recommandations de bonne pratique.
Le jour où tous les bébés à problèmes seront dépistés, que la prévention sera suffisamment efficace et que les bébés ayant un torticolis seront reçus par des kinés pédiatriques spécialisés, en effet les ostéopathes/thérapeutes manuels non médicaux n’auront plus à assurer le dépistage et la prévention. Et ça sera une énorme victoire pour les bébés. En attendant, nous continuerons à assurer ce service auprès des parents.

D’autre part, le communiqué de presse est moins précis que le mémo et énonce dans sa phrase d’ouverture : « Source d’inquiétude pour les parents, les plagiocéphalies – déformations crâniennes positionnelles – sont bénignes et disparaissent naturellement vers l’âge de deux ans. »

En effet, si les déformations de crânes sont bénignes et disparaissent, pourquoi en faire tout un flan? Dans ce cas, quel intérêt de consulter pédiatre/médecin, kiné et éventuellement ostéopathe?

La publication plus longue indique en revanche: « En cas d’absence d’amélioration de la déformation crânienne après une prise en charge adaptée, une orientation précoce (fin du premier semestre) par le médecin qui suit l’enfant vers un centre de compétences ou de référence des malformations cranio-faciales est recommandée. »
Encore une subtilité qui n’a pas fini de faire parler d’elle… Si j’ai bien compris, si cela ne s’améliore pas à 6 mois, il faut consulter… mais cela disparaitra naturellement… sauf que ce n’est pas toujours le cas.
Comme d’habitude, cette ambivalence sera encore source de confusion pour les parents.

Pourquoi c’est un pas en avant pour les ostéos?

Malgré le peu de données publiées, la HAS indique que l’ostéopathie peut être utilisée dans une prise en charge pluri-disciplinaire, c’est à dire inscrire l’ostéopathie « non médicale » dans un parcours de soin, c’est ce qui se passe en réalité, mais ce n’était pas encore gravé dans le marbre! Cette affirmation reconnait la place prise par les ostéopathes.

Le simple fait que l’ostéopathie soit inscrite dans le mémo est une première victoire. Il y a des ostéopathes qui ont été impliqués dans la rédaction du texte, malgré « l’absence de preuve » mais au vu de la popularité de cette prise en charge. C’est une initiative courageuse de la HAS, que je salue.

Donc finalement ça se remet tout seul ou pas?

Pour moi cette question a deux implications.
– Est-ce qu’il y a des enfants et des adultes qui conservent une asymétrie visible (arrière du crâne, oreilles, visage)? La réponse est OUI.
– Est-ce que ces asymétries entrainent des difficultés dans l’enfance ou à l’âge adulte? La HAS tire la conclusion qu’ « aucune publication scientifique ne fait état de difficultés chez l’enfant qui a/aurait eu une déformation crânienne. »
L’absence de preuve ne veut pas dire que cela n’existe pas, cela veut juste dire que pour l’instant nous n’avons pas de réponse officielle.

Le rapport précise tout de même dans la partie « Complications possibles de la déformation crânienne positionnelle » :

« Aucune donnée de la littérature ne permet de conclure à un lien de causalité entre DCP et retard neurodéveloppemental, troubles spécifiques ophtalmologiques, oculomoteurs, ou vestibulaires.
Seuls les troubles de l’articulé dentaire avec latéromandibulie, les troubles posturaux (risque de rétraction musculaire) peuvent être retrouvés dans les formes sévères de plagiocéphalie fronto-occipitale.
Dans les formes plus prononcées et en l’absence d’une prise en charge adaptée et précoce, les retentissements morphologiques ou esthétiques peuvent persister.« 

Ce que je retiens ici c’est qu’il peut donc bien y avoir des conséquences à long terme. Malgré cela, le mémo se veut rassurant en précisant que tout cela est bénin et se remet en place. C’est évidemment très frustrant pour les parents ayant des bébés avec des déformations crâniennes : cela manque de clarté. Que croire?
C’est d’autant plus difficile à entendre pour les parents des enfants qui ont gardé leurs têtes déformées et parfois des difficultés neurodéveloppementales. Dans ces cas, on peut se poser la fameuse question de l’oeuf et de la poule: la plagiocéphalie serait-elle, dans certain cas, un symptôme d’une autre difficulté? Comment dans ce cas faire la différence entre les déformations simplement mécaniques et celles qui sont le premier signe d’un autre problème? Cette fois, la HAS ne répond pas à la question. Cet aspect du rapport reste assez maladroit et plutôt contradictoire.

Ma conclusion

Ces recommandations de bonne pratique, c’est le résumé de ce que je dis déjà en cabinet. C’est un grand pas en avant de voir tout cela noir sur blanc. Cela permet d’apporter un cadre.

De manière très personnelle, je vois ce que j’apporte aujourd’hui à mes petits patients et qu’ils n’obtiennent nulle part ailleurs. C’est quelque chose que les professionnels des maternités, hospitaliers et de ville n’ont simplement pas le temps de faire. Certains manquent de formation en la matière, c’est sûr, mais pour moi c’est le manque de temps. Quand on voit certaines mamans qui n’ont pas pu être accompagnées correctement dans leur allaitement, que certains jeunes parents n’ont pas vu comment donner le bain du nouveau né, ni la DRP… je ne vois pas comment ces mesures/recommandations seront applicables sans un vrai effort financier. Les professionnels de santé sont déjà débordés, les déserts médicaux grandissent chaque année un peu plus.

Une prévention pendant la grossesse, un bilan à la maternité et des conseils tous les mois chez le médecin/pédiatre/PMI, pour l’instant cela me parait utopique.
Donc en attendant que tout cela se mette en place, je reste à la disposition de mes petits patients – pour donner des informations, établir des mesures objectives, promulguer des conseils, renvoyer vers le médecin pour ordonnance kiné. Mais aussi écouter, rassurer et orienter sans juger.

Sans même parler de thérapie manuelle, pour moi, l’ostéopathe pédiatrique a toute sa place dans la prise en charge des bébés et la prévention des déformations crâniennes positionnelles.

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